En 2015, je publiais un ouvrage sur le génocide arménien et les conséquences de son déni dans l’actuelle Turquie. Intitulé « Fantômes d’Anatolie » ce projet étudiait l’éradication et l’effacement systématique d’une communauté et les traces de sa culture. J’en proposais un regard, aux confluences entre l’écriture documentaire imposée par la faits historiques et contemporains, et une approche plasticienne, en cohérence avec le sujet, dans le choix d’images et leur traitement.
Face à la gravité du sujet et sa complexité, je décidais de rester sur une photographie sobre, m’attachant aux faits tout en assumant une écriture singulière. Si je tentais des explorations plasticiennes, qui pouvaient rendre visuellement l’éradication et son déni durant mes recherches, je décidais de rester sur une écriture sans artifices et conserver la cohérence mémorielle que nécessitait son histoire. Lors de l’élaboration du livre, j’ai enrichi ce corpus d’images avec des poèmes, qui évoquaient, là-encore par l’absence, la contemporanéité de cette histoire de plus d’un siècle.
En octobre 2020, le conflit du Haut-Karabakh confirmait la qualité fondamentalement contemporaine du génocide arménien niée par les gouvernements turcs successifs.
Si l’on ne peut réduire l’histoire arménienne au génocide, son déni hante les descendants de ses victimes et bourreaux, comme l’atteste l’attaque du Haut-Karabakh par les gouvernements azerbaïdjanais et turcs et leurs déclarations à l’encontre des Arméniens, afin de justifier de leurs actes.
Cette actualité m’amena à reprendre mes recherches visuelles des images traitées en négatif, seule entorse que je me permettais alors, tant ces images inversées symbolisaient visuellement le déni et ses conséquences. Le négatif par l’inversion des valeurs, trouble la lecture, révèle les défauts, les déchirures, les destructions. Les personnages photographiés se fondent dans le décor, tels des spectres flottant, hantant ces paysages désolés.
Si une œuvre s’inscrit dans un temps défini par l’auteur jusqu’à son point final, à partir duquel l’œuvre ne lui appartient plus, son caractère intemporel nous y ramène irrémédiablement. C’est alors un nouveau regard que l’on pose en echo au premier.