Synopsis
Fantômes d’Anatolie questionne la place du génocide arménien dans l’histoire turque et l’esprit collectif turc. L’objectif de ce projet étant de restaurer une histoire collectivement niée depuis un siècle.
Le contexte
La population turque a été ostracisée d’un événement majeur de son histoire. À partir du milieu des années 2000, les faits se dévoilent progressivement en Turquie, les voix se délient et l’histoire refait surface. Des ouvrages sur le génocide arménien sont publiés, remettant en cause la thèse officielle négationniste du gouvernements turc. Dans le même temps, le mouvement protestaire du Parc Gezi au printemps 2013, qui devint rapidement un lieu de ralliement de contestations sociales, est sévèrement réprimé. Depuis, le Président Erdogan n’a eu de cesse de renforcer sa politique nationaliste et autoritaire, procédant à des arrestations massives d’intellectuels et de journalistes, dont certains sont toujours sous les barreaux, et refermait cette parenthèse d’ouverture.
Le projet
Malgré les actes de destruction, l’histoire a laissé son empreinte sur le paysage. Si cette empreinte a été effacée, saccagée, réécrite, par inconscience, par ignorance, ou dans une volonté politique de négation, les traces, rares, sont néanmoins présentes, et l’histoire, omniprésente.
Je choisissais de travailler sur une écriture évocatrice, cherchant des signes, des symboles. Rester dans l’évocation afin d’aller vers l’essentiel ; débarrasser l’image de référents immédiats et encombrants, et mettre en regard les faits historiques et la réalité d’aujourd’hui.
Je suis donc partie des lieux marqués par la présence arménienne et son histoire. De ces lieux de mémoire s’échappait le vide. Montrer la réalité de ce vide et de cette transformation était une façon de traduire le silence et le déni. Mais il ne suffisait pas de photographier des ruines ou des paysages, aussi magnifiques soient-ils ; l’onirisme n’avait pas sa place et cela aurait été déplacé.
Roland Barthes dit des photographies de paysage qu’elles "doivent être habitables", et non "visitables." En ce sens, l’image doit porter en elle la dimension profonde qui va permettre au spectateur de s’inviter dans le paysage, de le questionner, le sonder, et par là même faire vivre cette image. Il me fallait donc aller plus loin : trouver une écriture permettant de montrer l’invisible, d’interroger le passé et les effets de sa négation sur le présent.
Pourquoi photographier, fouiller les traces d’une histoire ancienne, dont il ne reste plus que des bribes ?
Au-delà d’un devoir de mémoire, il y avait le besoin de revisiter une histoire niée par les gouvernements turcs successifs, révéler sa contemporanéité par l’image et de ce fait la rendre vivante. Rendre tangible par la photographie la véracité de ce qui a été et qui n’est plus ; ce qui fut et qu’on ne peut plus visiter, chérir et transmettre.