Pascaline Marre
auteur - photographe

Fantômes d’Anatolie - regard sur le génocide arménien


La ville d’Arapkir fut fondée en 1021 par le roi arménien Senek’erim-Hovhannes. A la veille de la première guerre mondiale, elle comptait plusieurs écoles, ainsi que 6 églises arméniennes, en plus de la Cathédrale Saint Grégoire l’Illuminateur (Surp Krikor Lusavorich). Sur environ 20 000 habitants, plus de la moitié étaient arméniens.

Arapkir, maison abandonnée 39°2’N 38°29’E

La ville d’Arapkir fut fondée en 1021 par le roi arménien Senek’erim-Hovhannes. A la veille de la première guerre mondiale, elle comptait plusieurs écoles, ainsi que 6 églises arméniennes, en plus de la Cathédrale Saint Grégoire l’Illuminateur (Surp Krikor Lusavorich). Sur environ 20 000 habitants, plus de la moitié étaient arméniens.

 La ville d'Arapkir fut fondée en 1021 par le roi arménien Senek'erim-Hovhannes. A la veille de la première guerre mondiale, elle comptait plusieurs écoles, ainsi que 6 églises arméniennes, en plus de la Cathédrale Saint Grégoire l'Illuminateur (Surp Krikor Lusavorich). Sur environ 20 000 habitants, plus de la moitié étaient arméniens.  Depuis 1995, Le Ministère de la Culture turc entreprend des travaux de restauration du site d'Ani sur les quelques édifices restant de l'ancienne capitale du Royaume d'Arménie. Ces rénovations très controversées, réalisées au mépris des règles archéologiques et de l'histoire du site, ont néanmoins permis de sauver des édifices sur le point de s'effondrer. Aujourd'hui, un tableau historique accueille les visiteurs à l'entrée du site, résumant l'histoire d'Ani, mais le mot Arménie en est totalement absent.  L'église Saint-Sauveur s'élance vers le ciel, traçant une verticale dans ce paysage lunaire d'Ani, capitale du royaume d'Arménie. Datant du XIème siècle, cette église fut construite à la demande du prince Ablgharid Pahlavide, afin d'y déposer une relique de la «vraie croix» ramenée de Constantinople. Son plan circulaire composé de douze colonnes sur sa façade extérieure, en fait un bâtiment unique.  Cette église troglodytique gravée de croix arméniennes, se situe sur les rives de l'Euphrate, en face du village de Savasan, à présent à moitié sous les eaux. Depuis les années 1970, la Turquie s'est engagée dans la construction de cinq grands barrages sur l'Euphrate aux fins d'irrigation et de production d'énergie. Celui de Bireçik construit en 2000 a entraîné la disparition de nombreux villages et 30 000 personnes furent déplacées. Des sites archéologiques comme la fameuse cité Zeugma datant du IIIème siècle av JC furent engloutis sous les eaux avant la fin des fouilles. Ordu, maison du quartier arménien 40°59'N 37°52'E Cette maison sur les hauteurs d'Ordu porte les stigmates d'une riche demeure. A présent abandonnée, elle est devenue le terrain de jeux d'enfants du quartier. Au premier étage, de magnifiques pièces avec de larges baies vitrées, offrant une vue sur la mer au loin. D'autres familles ont habité les lieux depuis. A présent vide et laissée au vent, ses murs, son escalier, les restes de son mobilier racontent son histoire oubliée.  Ce couple arménien est d'Anchertı, à présent Tokpapı. Leurs parents ont échappé aux massacres en fuyant à Alep. A leur retour, ils se sont installés dans la maison d'une autre famille arménienne, la leur ayant été détruite. Dans ce petit village surplombant l'Euphrate au sud de Kemaliye, l'histoire a marqué de son sceau l'identité et l'origine de ces familles turques, kurdes, arméniennes qui se côtoient mais ne se mélangent pas.  L'hôpital Surp Pırgiç fut crée en 1834 par Artin Amira Bezdjian. Véritable havre de paix dans le quartier de Yedikule d'Istanbul, les bâtiments encadrent un très beau jardin dans lequel les familles viennent se promener. En 2004, le Premier Ministre Erdoğan a inauguré le musée qui accueille une collection d'objets et d'art arméniens. D'Ünye à Rize, sur la Mer Noire, les Arméniens étaient embarqués sur des bateaux et jetés à la mer. Confiée à une voisine turque car elle avait les cheveux noirs, Lussaper échappa à ce destin tragique. Elle prit le prénom de Fatima, et seule rescapée de sa famille, fut envoyée dans un orphelinat à Istanbul. Plus tard, elle fut mariée sur photo. On mariait des orphelines à des Arméniens qui avaient pu fuir en Europe, aux Etats-Unis, au Canada ou en Amérique Latine. De nombreuses églises arméniennes ont été construites au nom de Saint Grégoire l'Illuminateur. Né en 257 à Césarée (actuelle Kayseri), il est le saint patron qui a évangélisé l'Arménie, sous le règne du roi Tiridate IV. Après avoir été emprisonné durant treize années par le roi, ce dernier, gravement malade, fit amener Saint Grégoire à son chevet. Le roi fut guéri miraculeusement et Saint Grégoire devint officiellement Catholicos d'Arménie.  Kırıkhan, à l'est d'Alexandrette. Des routes tracées, partant de l'ouest du nord, furent envahies par des convois de milliers de déportés emmenés de force par des milices vers le désert de Syrie, où des camps furent installés. Là, entre Rakka et Deir-es-Zor, des milliers des survivants périrent de faim, de soif et de maladies. Les jeunes filles rencontrées sur le chemin acceptent de poser devant cette maison abandonnée de l'ancien village arménien de Pirkinik, à présent Cayboyu. Plus rien ne reste de l'ancien village ; plus de ruines, plus de rues tracées au hasard. Cayboyu est un quartier périphérique de Sivas, quadrillé de rues perpendiculaires et rectilignes et d'immeubles neufs. Si ce n'est cette maison, carcasse vide survivant au temps, à l'histoire.  Surp Boghos Bedros, datant de 1837, fut longtemps utilisée comme entrepôt. Située au centre de Tomarza, dans le quartier Cumhuriyet mahallesi, elle est à présent condamnée. La ville en détient les clés. Depuis la création de la République Turque, la quasi totalité des églises, monastères, écoles et hôpitaux arméniens ont été saisis par l'Etat turc. La grande majorité ont depuis été détruits ou transformés.  Cette maison, communément appelée «la maison du prêtre», surplombe la cathédrale Surp Astvatzatzin, dont il ne reste plus rien. Une école à présent abandonnée a été reconstruite sur le terre-plein de la cathédrale. Avec l'accord des actuels propriétaires, la ville souhaite rénover la maison du prêtre pour en faire un musée.Avant 1915, cette ville surplombant la vallée de l'Euphrate, à quelques kilomètres d'Elazig (Mezire) comptait 4000 Arméniens et jouissait d'une économie prospère basée sur le commerce de la soie, du coton et de l'artisanat. Ville des premiers rois d'Arménie, centre administratif et économique du vilayet Mamuret ul-Aziz à la veille de la guerre, Kharpert semble, depuis 1915, s'être fossilisée. Au mur, une photographie de la ville avant 1915 avec le quartier arménien s'étageant sur le flanc de la colline sous les remparts de la citadelle. A présent, un champ s'étend à cet endroit; toute trace de ce quartier historique a disparu.  L'ancien quartier arménien nommé Nazimbey, aux abords de Surp Krikor Lusavorich, est un patchwork contrasté d'immeubles neufs de dix étages et de bâtisses délabrées. Les vieilles maisons laissées à l'abandon sont à présent occupées par des familles tziganes. Cette minorité dont le nombre est difficile à évaluer (d'après une étude réalisée en 1993, 700 000 Tziganes vivraient en Turquie), n'est pas officiellement reconnue et ne bénéficie donc pas de droits ni de protection sociale.  Haut lieu historique de l'histoire arménienne, Kayseri est la ville natale de Saint Grégoire l'Illuminateur (Surp Krikor Lusavorich), père de l'église apostolique arménienne. Après un an de restauration, une messe de réouverture y fut célébrée le 13 novembre 2009. Hrant Dink, fondateur et rédacteur en chef de l'hebdomadaire turco-arménien Agos, fut assassiné le 17 janvier 2007 à Istanbul, en pleine rue, à la porte de son journal. Favorable au dialogue arméno-turc, revendiquant sa double identité turque et arménienne, Hrant Dink dérangeait par sa position d'ouverture. La Turquie est le pays qui compte le plus de journalistes emprisonnés. D'après Reporters sans frontières, en 2012, 72 professionnels des médias étaient derrière les barreaux. La liberté d'expression n'y est pas respectée, laissant les victimes dans un vide juridique, et les criminels impunis. Cette ancienne église, qui a servi de salle de sport pendant 40 ans, a récemment été transformée en musée. Un édifice religieux cédé au Ministère de la Culture ne peut conserver sa fonction d'origine ; la plupart des sites arméniens jusque là restaurés par l'Etat turc prennent le statut de musée. Certains bâtiments sont rénovés et conservés tels quels, sans référence historique, à l'image de l'église de l'île Aghtamar, sur le lac de Van.  En 1938, suite à un soulèvement mené par un chef kurde dans la province du Dersim (rebaptisée Tunceli, qui signifie «main de bronze»), une répression lancée par Mustafa Kemal, conduisit au massacre de 40 000 Alévis. En novembre 2011, Recep Tayyip Erdoğan s'est publiquement excusé pour le massacre du Dersim.  La gardienne des clés de l'église Surp Kevork.Le village de Derik, majoritairement kurde, abrite l'église Surp Kevork (Saint-Georges), surnommée l'église rouge, de la couleur de son mur. Comptant parmi les rares églises appartenant au Patriarcat d'Istanbul, elle a réouvert ses portes en octobre 1997 après des mois de rénovation. Un couple kurde, habitant dans la rue, détient les clés et entretient l'église.  Femmes kurdes du village de Habap, à l'est d'Elaziğ lors de la commémoration de la restauration de la fontaine, le 27 mai 2012. Habap, à présent Ekinözü, est le village natal de la grand-mère de Fethiye Çetin, avocate turque, fervente défenseur des droits des minorités dans son pays. En 2005, elle édite l'histoire de sa grand-mère arménienne, témoignage qui bouleversa le lectorat turc et contribua à libérer les histoires individuelles. A une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Tercan, à quelques encablures du village d'Üçpinar, le monastère Aprank fait face à la vallée de l'Euphrate. De ce monastère relativement bien conservé, deux magnifiques khatchkars de cinq mètres de haut datant du début du XIIème siècle dominent ces hauts plateaux. Un monastère détruit devenu village. Surp Garabed a pris le nom kurde de Chengeli. Les villageois ont orné leurs maisons des pierres gravées de croix et de symboles arméniens. La mosquée, entièrement bâtie en pierre de taille, en est décorée. Un fil à linge traverse la nef de l'église sans toit. Des familles sont venues. Des familles déplacées, kurdes pour la plupart. Elles ont reconstruit sur les décombres laissés par l'armée. Dans le village de Chengeli, les façades des maisons sont construites en pierres de taille, dont certaines sont ornées de croix gravées. Reconstruit sur le site de l'imposant Monastère Surp Garabed, les seuls vestiges sont ces croix éparses et une abside. L'église Surp Giragos s'élevait sans toit vers le ciel, les ogives nues dessinant dans le ciel de magnifiques arches qui projettent leurs ombres sur le sol, avant sa restauration en 2011. L'église en 2009, avant restauration. L'église Surp Krikor de cet ancien monastère arménien se situe en contrebas du village de Venk, à quelques kilomètres à l'est de Malatya, dominant la vallée et la route entre Malatya et Elaziğ. Une tombe musulmane a été érigée contre l'église, qui, une fois l'an en août, est le lieu d'un rassemblement festif en l'honneur de son Saint.  Il y a quelques années, la communauté arménienne demanda à la ville l'autorisation de construire un bâtiment dans l'enceinte du cimetière arménien pour accueillir les défunts et leurs familles. La ville donna son accord, mais sous la pression de la population, ils firent détruire l'édifice en cours de construction. En 2007, l'assassinat par cinq jeunes nationalistes de trois chrétiens, dont un missionnaire allemand, a ravivé les tensions. Les crimes envers les chrétiens et autres minorités sont généralement classés sans suite, et leurs auteurs impunis.  Akşehir, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Konya, se situait sur une des routes de déportation, emmenant les Arméniens de Smyrne et Istanbul vers Adana, Alep, jusque dans le désert Syrien, destination finale. Située dans l'enceinte de l'école, cette église du XIXème siècle, relativement bien conservée et protégée par un cadenas, sert d'entrepôt pour le mobilier de l'école.  Değirmenaltı s' est construit sur les ruines de l'ancien monastère de Por, à sept kilomètres à l'est de Bitlis. Une église restée debout sert de grange, tandis qu'autour sont entreposés une dizaine de khatchkars, dont trois monumentaux datant des XIVème et XVème siècles. Depuis peu, un villageois a construit sa maison en parpaings à moins de deux mètres de ces khatchkars.  Bombardée durant le siège que les Arméniens opposèrent en 1915 avec l'aide des troupes russes, aux troupes Ottomanes, ce «quartier des jardins» fut littéralement rasé. Ce siège qui dura plusieurs semaines est souvent cité en exemple de la trahison des Arméniens à l'Empire. Forts de l'approche des troupes russes, les Arméniens de Van organisèrent farouchement leur défense du 20 avril au 16 mai. S'ils purent fêter une victoire après la retraite turque, de nombreux Arméniens furent massacrés lors de cette défense et durant leur fuite vers le nord.  Le quartier arménien des jardins (L'Aykestan), sur les côtes méridionales du lac de la ville de Van, est à présent un terrain vague. Il ne reste plus rien de cette partie de la vieille ville, si ce n'est deux mosquées laissées à l'abandon, dominées par les ruines de la forteresse urartéenne.  Harutyun est le seul Arménien d'Ordu à être resté dans sa ville natale. Il est artisan et reçoit dans son atelier. Ses enfants vivent à Istanbul. Lui et ses frère et soeurs ont échappé aux rafles grâce à des amis voisins turcs. En 1930, 135 familles arméniennes vivaient encore à Ordu. Après le départ du prêtre, les dernières familles ont quitté la ville pour Istanbul ou l'étranger. La terrasse de Panos a une vue magnifique sur la mer. Il y coule des jours paisibles dans ce village du Musa Dagh (Mont Moïse) entouré de vergers. Vakıflı, unique village arménien de Turquie, jouit d'un tourisme florissant. Il en existait encore six jusque dans les années 1940. Le Musa Dagh s'est rendu célèbre suite au soulèvement des Arméniens des villages de la région, face aux ordres de déportations. Ils résistèrent à l'armée, et seront sauvés in extremis par la marine française. Dans le Dersim (province rebasptisée Tunceli, nom éponyme de son chef lieu), l'ancien village arménien d'Ergen abrite les ruines d'une magnifique basilique dont il ne reste que quelques pans de mur. Cette région, à forte population alévi et kurde, résista aux déportations de la population arménienne en cachant les familles des provinces alentour, fuyant vers les montagnes du Dersim. Le village a été rebaptisé Geçimli qui signifie «accomodant». Ironie de l'histoire ou volonté manifeste d'effacer les traces définitives du pluralisme de la société turque.  Traversée de l'Euphrate depuis Ağın, à une soixantaine de kilomètres au sud de Kemaliye, anciennement Agn. De nombreux convois d'hommes, de femmes et d'enfants acheminés depuis le nord en direction de Malatya, furent noyés dans l'Euphrate. La négation du gouvernement turc est un parjure aux Arméniens et aux Turcs eux-mêmes. Car au sortir de ce génocide, la République Turque est proclamée dans un élan de panturquisme et les massacres sont tus, les bourreaux impunis et les témoins mis sous silence.  Ragip Zarakolu dans ses bureaux des éditions Belge à deux pas du grand souk. Cet éditeur d'Istanbul lutte pour la liberté d'expression et les droits des minorités dans son pays. Il fut le premier à éditer des ouvrages sur le génocide arménien. Depuis la création de Belge avec sa femme, il poursuit son combat de liberté d'expression sans relâche, malgré les pressions, les menaces et de nombreuses arrestations.  Après de rapides ablutions, les enfants s'élancent sur le parterre de la mosquée Selahaddin Eyyubi d'Urfa (à présent Şanlıurfa), improvisée en terrain de jeux. Lors des massacres hamidiens de 1895, la police y brûla vif 3000 Arméniens. En 1994, elle fut transformée en mosquée, malgré la pression d'associations de la ville luttant pour la reconnaissance et la sauvegarde du patrimoine.  Ruelle de la vielle ville aux abords de Surp Giragos. Dédiée à la Vierge Marie, Surp Astvatzatzin (XIème sicèle) domine le site d'Ani de sa taille monumentale. Sérieusement endommagée par une succession de séismes, des structures métalliques ont été placées pour soutenir les façades. Le 1er octobre 2010, un groupe de nationalistes turcs se rassembla dans la cathédrale pour y réciter des prières musulmanes, en protestation à la première messe célébrée dans l'église d'Aghtamar, le 19 septembre 2010.  Depuis le site majestueux d'Ani, capitale du Royaume d'Arménie, ville antique aux 1001 églises, les gorges de l'Akhourian creusent une frontière séparant la ville mythique de sa patrie de l'autre côté de la rivière. De la même manière, depuis Erevan, capitale de l'actuelle Arménie, peut-on voir les sommets enneigés du Mont Ararat, symbole de l'Arménie, en territoire turc.  Le génocide arménien planifié par le gouvernement Jeune Turc a été d'une telle efficacité, qu'il était impossible à la population arménienne de s'organiser et de résister. Il y eut cependant des mouvements de révolte, à l'image du siège de Van, grâce à l'appui de l'armée russe, et la révolte du Musa Dagh (Mont Moïse) en Cilicie, fameuse pour avoir connu un destin épique, grâce au sauvetage in extremis de 4000 personnes par la marine française postée au large, sous les ordres de l'Amiral Gabriel Darrieus.

Synopsis

Fantômes d’Anatolie questionne la place du génocide arménien dans l’histoire turque et l’esprit collectif turc. L’objectif de ce projet étant de restaurer une histoire collectivement niée depuis un siècle.

Le contexte

La population turque a été ostracisée d’un événement majeur de son histoire. À partir du milieu des années 2000, les faits se dévoilent progressivement en Turquie, les voix se délient et l’histoire refait surface. Des ouvrages sur le génocide arménien sont publiés, remettant en cause la thèse officielle négationniste du gouvernements turc. Dans le même temps, le mouvement protestaire du Parc Gezi au printemps 2013, qui devint rapidement un lieu de ralliement de contestations sociales, est sévèrement réprimé. Depuis, le Président Erdogan n’a eu de cesse de renforcer sa politique nationaliste et autoritaire, procédant à des arrestations massives d’intellectuels et de journalistes, dont certains sont toujours sous les barreaux, et refermait cette parenthèse d’ouverture.

Le projet

Malgré les actes de destruction, l’histoire a laissé son empreinte sur le paysage. Si cette empreinte a été effacée, saccagée, réécrite, par inconscience, par ignorance, ou dans une volonté politique de négation, les traces, rares, sont néanmoins présentes, et l’histoire, omniprésente.

Je choisissais de travailler sur une écriture évocatrice, cherchant des signes, des symboles. Rester dans l’évocation afin d’aller vers l’essentiel ; débarrasser l’image de référents immédiats et encombrants, et mettre en regard les faits historiques et la réalité d’aujourd’hui.

Je suis donc partie des lieux marqués par la présence arménienne et son histoire. De ces lieux de mémoire s’échappait le vide. Montrer la réalité de ce vide et de cette transformation était une façon de traduire le silence et le déni. Mais il ne suffisait pas de photographier des ruines ou des paysages, aussi magnifiques soient-ils ; l’onirisme n’avait pas sa place et cela aurait été déplacé.

Roland Barthes dit des photographies de paysage qu’elles "doivent être habitables", et non "visitables." En ce sens, l’image doit porter en elle la dimension profonde qui va permettre au spectateur de s’inviter dans le paysage, de le questionner, le sonder, et par là même faire vivre cette image. Il me fallait donc aller plus loin : trouver une écriture permettant de montrer l’invisible, d’interroger le passé et les effets de sa négation sur le présent.

Pourquoi photographier, fouiller les traces d’une histoire ancienne, dont il ne reste plus que des bribes ?

Au-delà d’un devoir de mémoire, il y avait le besoin de revisiter une histoire niée par les gouvernements turcs successifs, révéler sa contemporanéité par l’image et de ce fait la rendre vivante. Rendre tangible par la photographie la véracité de ce qui a été et qui n’est plus ; ce qui fut et qu’on ne peut plus visiter, chérir et transmettre.