Pascaline Marre
auteur - photographe

Eau argentée, Syrie autoportrait

22/03/2016

Il y a Simav, femme kurde de Syrie, qui décide de filmer Homs, sa ville, détruite par l’armée et les combats incessants. Elle filme pour résister, elle filme pour survivre, elle filme son errance dans les ruines, dans cette ville qui n’est plus la sienne, dans cette ville morte. Elle s’accroche à sa camera pour se rappeler à la vie, à sa vie, à une vie d’avant qui ne sera plus. Elle s’accroche à sa camera en pensant à Ossama qu’elle a contacté.

Il y a Ossama Mohammed, réalisateur syrien. Il vit la guerre isolé de tous, de sa terre, des siens. Il voit son pays imploser et disparaître et se sent disparaître lui-même. Lui aussi filme son errance réfugié dans un pays qui n’est pas le sien, loin des siens, sont-ils encore en vie ? Il parcours la toile à la recherche de son peuple ravagé. Il cherche des bouts de films d’anonymes qui crient à la gueule du monde l’horreur.

Il y a ces milliers d’anonymes rendus vivants par les images qu’ils ont osé filmer. Que sont-ils devenus ? Sont-ils des morts ? Des vivants ?

Il y a ce petit garçon qui parcourt les ruines à la recherche de la vie, une fleur là qu’il rapportera à sa maman, des mûres qu’il cueille pour Simav, de grandes feuilles d’un figuier qui seraient idéales pour les dolmas. Simav lui explique qu’elles sont trop amères, qu’il faut des feuilles de vigne pour les dolmas. Simav le suit dans ses promenades dans les rues désolées. Il dit : "C’est comme si c’était la nuit, mais il y a de la lumière".

Il y a les mots en arabe qui glissent comme des perles sur des images insoutenables. Ses mots à elle, ses mots à lui, dans la douceur de deux voix qui murmurent de peur qu’elles ne se désagrègent dans l’explosion d’un obus.

Il y a l’espoir d’un homme qui est là et qui pense à elle. Il y a l’espoir qu’elle est toujours en vie. Il y a l’espoir de se voir, pour une seule fois même, on serait en vie alors, on aurait gagné.

Il y a la peur que les images n’enferment Simav pour toujours dans cet enfer.

Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan ont réussi un tour de force et de vie. Ils ont défié l’horreur et la mort. Leur lien, leurs mots qu’ils s’échangent et qu’ils nous témoignent sont la force vive du film. Deux vies sauvées, deux vies sur des centaines de milliers.

"Eau argentée, Syrie autoportrait" film co-réalisé par Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan. 2014